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22

août
2024

Panoramas

Droit pénal

Droit international et européen

Droit civil

Droit de la famille

Droit public

22/ août
2024

Panoramas

Droit pénal — Droit international et européen — Droit civil — Droit de la famille — Droit public

Panorama des décisions et arrêts de la CEDH concernant Monaco (2024)

Au premier semestre 2024, la Cour Européenne des Droits de l'Homme a statué sur quatre affaires concernant Monaco, dans les domaines du droit de la famille (divorce et enfants), du droit international privé (succession internationale), de la justice (détachement d'un juge français) et de la procédure pénale (instruction).

* * *

DROIT DE LA FAMILLE

CEDH, C.C. c. Monaco, 6 juin 2024, Req. n° 37218/19 (articles 6 § 1 et 8 CEDH • Irrecevabilité)

¤ OBJET

  • Le maintien des liens entre le requérant et ses deux enfants mineurs dans le cadre d’une procédure de divorce, le requérant se plaignant de n’avoir pu exercer son droit de visite, du rejet de sa demande d’expertise psychologique, et du refus de mettre en place une garde alternée et tout droit d’hébergement (article 8 CEDH - Droit au respect de la vie privée et familiale),
  • La durée de la procédure (6 ans et presque 8 mois) devant les juridictions monégasques que le requérant estimait incompatible avec la condition de jugement dans un délai raisonnable, et le rejet de sa demande de suppression de la pension alimentaire due à son ex-épouse que le requérant estimait n'avoir pas été entendue équitablement (article 6 § 1 CEDH - Droit à un procès équitable).

¤ SYNTHÈSE

→ Sur la violation alléguée de l'article 8 CEDH (griefs mal fondés et rejetés)

  • Les juridictions monégasques ont pris dans le cadre de la procédure de divorce des mesures appropriées pour concilier, dans la mesure du possible, les intérêts opposés des parties, tout en gardant à l’esprit la nécessité de se soucier de l’intérêt supérieur de l’enfant.
  • Les décisions prises pour déterminer les droits de visite du requérant et rejeter ses demandes de résidence alternée n'ont pas été entachées d’arbitraire ou manifestement déraisonnables.
  • Considéré dans sa globalité, le processus décisionnel apparaît avoir suffisamment protégé les intérêts du requérant. Durée totale de la procédure depuis la requête en divorce de 6 ans et presque 8 mois, comprenant trois degrés de juridiction pour statuer au titre des mesures provisoires et du fond du divorce, mais aussi les décisions prises entre-temps par le juge tutélaire (en première instance et en appel), y compris à plusieurs reprises en matière d’assistance éducative, ainsi que la réalisation de nombreuses mesures d’investigation compte tenu de la complexité de la situation familiale ; à aucun moment le requérant n’a été privé de contacts avec ses enfants (libres ou en présence d’un médiateur), et il a bénéficié d’un droit d’hébergement pendant presque 1 année avant que la dégradation des relations avec ses enfants ne le remette en question ; aucune période de latence entre les décisions internes tranchant les demandes du requérant de nature à porter atteinte à l’exercice de ses droits de visite.

→ Sur les violations alléguées de l’article 6 § 1 CEDH (griefs mal fondés et rejetés)

  • Avant de saisir la Cour, le requérant ne justifie pas avoir exercé le recours effectif qui était à sa disposition pour se plaindre de la durée de la procédure.
  • La pension alimentaire a été fixée au terme d’une procédure dépourvue d’arbitraire ne faisant apparaître aucune violation. Les décisions monégasques étaient convenablement motivées et ont conclu qu’il existait une disparité patrimoniale entre les époux. La Cour a toutefois relevé que le critère de l’absence de "transparence" sur certains des revenus évoquée par le juge monégasque est une notion floue qui doit être appréhendée avec la plus grande prudence pour rejeter une demande de diminution d’une pension alimentaire dès lors que la preuve de l’absence de revenu relève souvent de la preuve impossible.

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DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

CEDH, 18 janvier 2024, Michaux c/ Monaco, Req. n° 36965/22 et n° 20769/23 (article 6 § 1 CEDH et article 1 du Protocole n° 1 • Irrecevabilité)

¤ OBJET

  • Contentieux privé successoral portant sur différents biens situés en Belgique, en France et à Monaco, concernant les effets de la renonciation de la requérante à la succession de son père, faite en Belgique, et sa rétractation.
  • La requérante soutenait que les juridictions monégasques auraient violé les principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité des lois et l’auraient privée du bien à Monaco dont elle aurait dû hériter seule (article 6 § 1 CEDH - Droit à un procès équitable et l’article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété) en appliquant à la succession ouverte en 1963, le Code de droit international privé créé par la Loi n° 1.448 du 28 juin 2017 (ayant considéré que les règles de conflit du Code étaient d’application immédiate aux instances en cours et à défaut de dispositions transitoires) et, par conséquent, les règles successorales belges.

¤ SYNTHÈSE

→ Sur la violation alléguée de l'article 1 du Protocole n° 1 (irrecevabilité ratione personae)

  • Le grief de la violation du principe de sécurité juridique pour se plaindre d’une privation d’un bien dont la requérante aurait dû hériter seule qui relève de l’article 1 du Protocole n° 1, est irrecevable ratione personae en l’absence de ratification dudit Protocole par la Principauté de Monaco.

→ Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 CEDH (grief mal fondé et rejeté)

  • La notion de « sécurité juridique » renvoie à l’idée d’un cadre juridique stable, complet et prévisible, qui exclut tout arbitraire.
  • En l’espèce, aucune « situation juridique cristallisée » n’a été anéantie par les juridictions monégasques au détriment de la requérante. Aucun « jugement définitif » en faveur de la requérante n’a été remis en cause dans le présent litige. Absence de jurisprudence divergente et de jugements contradictoires. Aucun élément n'était susceptible de laisser penser que l’adoption de la Loi n° 1.448 du 28 juin 2017 aurait pu viser à favoriser des adversaires privés de la requérante ou de l’État monégasque, ou encore à corriger une interprétation d’un texte favorable à la requérante.
  • Absence de démonstration que l’application par les juridictions monégasques de la Loi n° 1.448 du 28 juin 2017 aurait été (ou aurait abouti à un résultat) arbitraire.

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JUSTICE

CEDH, Levrault c/ Monaco, 9 juillet 2024, Req. n° 47070/20 (article 6 § 1 CEDH • Irrecevabilité)

¤ OBJET

¤ SYNTHÈSE

→ Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 CEDH (grief incompatible ratione materiae et rejeté)

  • Pour que l’article 6 § 1 trouve à s’appliquer sous son volet civil, il faut qu’il y ait « contestation » sur un « droit » que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne, que ce droit soit ou non protégé par la Convention.
  • Le statut juridique des magistrats français en détachement à Monaco ne leur confère aucun droit au renouvellement de leur détachement. L'article 5 de la Convention franco-monégasque ne précisait pas que le renouvellement d’un détachement serait accordé de plein droit au bout de la période de 3 ans, et l’emploi du terme « renouvelable », qui fait référence à un aléa, et non « renouvelé », qui traduit une certitude, ne laissait planer aucun doute sur l’absence de tout droit au renouvellement. Les décisions relatives au détachement des magistrats français prises par les deux États souverains signataires d’un accord international, relèvent de leurs relations diplomatiques et des rapports d’amitié et de coopération.
  • L’existence d’un droit au profit du requérant ne peut pas davantage être déduite des principes constitutionnels relatifs à l’indépendance et à l’inamovibilité des magistrats. Absence de démonstration de l’existence d’un accord ou d’un engagement des autorités des deux États concernant le renouvellement de son détachement une fois le terme échu, ni même d’une pratique de renouvellement systématique des juges étrangers détachés à Monaco.
  • Le refus de renouveler le détachement du requérant ne relevait pas d’un litige relatif « aux droits et obligations de caractère civil » du requérant, de sorte que l’article 6 CEDH ne trouve pas à s’appliquer aux faits de la cause. L'espèce doit être distinguée d’autres affaires dans lesquelles la Cour a jugé que l’article 6 était applicable à des litiges relatifs à l’emploi dans la magistrature, car la décision de refus de renouvellement du détachement du requérant ne constituait pas une sanction disciplinaire, une révocation de son poste, ou encore une cessation anticipée de son mandat, ni même une mutation d’office ou une suspension temporaire. La dimension diplomatique du détachement, son fondement juridique dont la source est une convention internationale, et sa durée limitée le différenciaient, par essence, de toute mesure interne affectant la carrière d’un magistrat dans son propre pays dont la Cour a eu à connaître à ce jour.

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PROCÉDURE PÉNALE

CEDH, Bersheda et Rybolovlev c. Monaco, 6 juin 2024, Req. n° 36559/19 et n° 36570/19 (article 8 CEDH • Violation)

¤ OBJET

  • Exploitation des données contenues sur le téléphone portable de la requérante, une avocate, dans le cadre d’une expertise ordonnée par un juge d’instruction.
  • Les requérants se plaignaient du recueil massif, indifférencié, disproportionné et sans respect du secret professionnel de l’avocat, de la totalité des données accessibles depuis le téléphone portable de la requérante, y compris celles qui avaient préalablement été effacées, ainsi que de leur exploitation (article 8 CEDH - Droit au respect de la vie privée et familiale).

¤ SYNTHÈSE

  • La requête introduite par le requérant a été déclarée incompatible ratione personae, au motif que celui-ci ne pouvait se prévaloir de la qualité de victime.

→ Sur la violation alléguée de l’article 8 CEDH (violation en ce qui concerne la requérante)

  • Le grief de la requérante, avocate, portant sur la fouille de son téléphone portable, ainsi que sur la recherche, l’exploitation, l’enregistrement, la conservation et la transmission de l’ensemble de ses données (dates, numéros composés ou reçus, identité des interlocuteurs concernés, contenu des différents types de messages échangés), relève des notions de correspondance et de vie privée au sens de l’article 8 § 1 CEDH.
  • Les États ont l’obligation de protéger la confidentialité des échanges entre les avocats et leurs clients, ainsi que le secret professionnel. Si le droit interne peut prévoir la possibilité d’ingérences dans le droit d’un avocat au respect de sa correspondance, celles-ci doivent impérativement être assorties de garanties particulières strictes. Une telle exigence doit également s’appliquer pour tous les avocats exerçant régulièrement leur profession même s’ils sont, à l’instar de la requérante, non‑inscrits au barreau local ou national.
  • La requérante a fait l’objet d’une ingérence dans l’exercice de ses droits au respect de sa vie privée et de sa correspondance. Les atteintes dont elle a fait l'objet sont assimilables à des perquisitions et à des saisies en raison de leur caractère intrusif et de la similarité de leurs effets.
  • Cette ingérence n’était pas proportionnée aux buts légitimes poursuivis et, dès lors, n’était pas « nécessaire dans une société démocratique ». Les autorités judiciaires de contrôle n’ont pas procédé à une redéfinition, conformément aux termes de la saisine, des limites de la mission expertale et du périmètre d’investigation que le juge d’instruction avait étendu de manière trop large. À cette insuffisance de limitation des contours de l’instruction, s’est ajoutée l’absence de contrôle des garanties procédurales pourtant dues à la requérante en raison de son statut d’avocat et du respect de son secret professionnel. Les saisines de la Chambre du Conseil de la Cour d’Appel et de la Cour de Révision par la requérante étaient certes, sur le principe, constitutives de recours adéquats et effectifs, mais n’ont pas permis, dans la pratique, dans les circonstances de l’espèce, un redressement approprié des mesures ordonnées, hors du cadre de sa saisine, par le juge d’instruction. La requérante n’a ainsi bénéficié d’aucune des garanties qu’appelait le respect du secret professionnel attaché à sa qualité d’avocate dans la procédure par laquelle l’expertise de son téléphone portable a été ordonnée et mise en œuvre.

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